jeudi 21 août 2014

Le quartier Cité Verte, Sainte Rita
13 Juillet 5H45, Aéroport de Zaventem, Belgique.

Ça y est, nous y sommes, c’est le grand départ…  Me voilà dans la file pour le check-in avec Thérèse Delabye, une orthodontiste, cliente et amie qui a accepté de me suivre dans cette aventure. Notre check-in sera assez rapide, nous enregistrons deux gros cartons de 32 kg pleins de tubes de dentifrice. Notre bagage à main de 10kg quant à lui abrite les quelques vêtements que nous allons porter pendant les deux prochaines semaines.

Nos valises

Alors que l’avion décolle, je me rappelle les cinq derniers mois passés à organiser ce départ. Cela remonte au mois de février, en fait. Lors d’une visite au cabinet De Coster, je discute avec Jean Bosco Lotonga, un dentiste congolais que 3M Unitek aide depuis 4 ans en donnant des produits pour ses projets humanitaires. Ce juillet 2014 est la 8ème campagne de soins dentaires gratuits qu’il organise à Kinshasa.

Cela fait un petit temps que les projets humanitaires m’intéressent. Après quelques expériences au Népal, Pérou et en Malaisie (dans divers secteurs, comme le communautaire, l’environnemental, la conservation de tortues et l’archéologie), il est temps pour moi de faire quelque chose que je connais bien : les soins bucco-dentaires. Je suis active dans ce secteur depuis 14 ans et c’est réellement devenu une passion.  Je propose donc mon aide à Jean Bosco et me voilà embarquée dans la prochaine campagne de soins.
J'avais cinq mois pour essayer de récolter un maximum de matériel. Mon poste chez 3M a évidemment beaucoup facilité l'approvisionnement en produits d’orthodontie et en produits dentaires. 3M s'est montré très généreux et nous avons pu emporter près de 2000 € de produits. Mes contacts avec certains dépôts dentaires comme DPI et fournisseurs dentaires comme Oral B nous ont permis d’obtenir suffisamment de dentifrices, de gants, d’aiguilles et de produits de désinfection.  Au cours de ces derniers mois, nous avons eu le temps de nous réunir pour débattre de tout ce qu’il fallait préparer avant le départ: les colis, le matériel, l’organisation sur place… L’équipe était composée de Jean Bosco Lotonga, l’initiateur congolais qui veut aider son pays; Belinda, son amie congolaise de toujours; Édith Mercier, une dentiste bruxelloise qui fait partie du projet depuis le début et qui a monté sa propre petite clinique humanitaire dans le Bas Congo avec son mari; Mousse, un infirmier sage-femme qui assiste souvent Édith à son cabinet; Béatrice, une infirmière qui a également déjà participé au projet. Au mois de juin, l’orthodontiste Brigitte Lowette (vue lors d’un dîner avec 3M) entendit parler de notre projet et se joignit à nous. Sur place, David, un patient de Jean-Bosco à Bruxelles, participe également à la mission. En tout, l’équipe embarque plus de 400kg de produits dans les bagages. Avant cela, des containers avec des fauteuils, des appareils radio, des carts dentaires, etc, étaient partis rejoindre les côtes de Kinshasa.
Le quartier où nous logeons
Puis c’est l’arrivée à Kinshasa, KIN pour les habitués… L’Afrique Noire, je connais, j’y vais depuis plus de 15 ans. Mais KIN... C’est particulier ! C’est très pauvre, sale, bruyant. Nous sommes en pleine saison sèche et les températures, plus fraîches, avoisinent les 22°. Nous logeons dans le quartier populaire à Kasavubu dans un petit hôtel sans prétention, le but étant quand même de loger dans un endroit sécurisant. Il est à noter que pendant notre mission, il y a eu une tentative de putsch par des rebelles du Congo-Brazzaville dans Kinshasa. Heureusement, il n'y eut rien de grave mais la tension s’est fait sentir à partir de ce moment-là. Là-bas, on ne rigole pas avec la sécurité.

Tentative de putsch



Le lundi nous commençons par une visite au BDOM, organisme censé nous aider sur place dans le projet. La visite est un peu officielle. Nous nous réunissons pour débattre de ce qui est prévu dans les deux semaines suivantes. Très vite, nous devons lâcher prise et nous adapter au mode de vie congolais. Nous laissons nos montres de côté ainsi que l’espoir de partir chaque matin à l’heure pour arriver à temps à nos rendez-vous. Ici, il n'est pas rare de devoir se lever à 6H30 du matin pour être prêts à partir à 7h15 et voir la voiture du BDOM arriver à 10h. Ou parfois jamais. C'est normal, on se débrouille, on fait avec.
Réunion au BDOM

L’après-midi, Thérèse, Brigitte, Jean Bosco et moi-même donnons un cours d'introduction à l'orthodontie pour une cinquantaine de dentistes dans les locaux de l’hôpital Saint-Joseph, qui est également notre partenaire pour le projet sur place. Le cours rencontre un grand succès et les dentistes sont très intéressés. Ils nous demandent de revenir pour approfondir les sujets abordés (la croissance en orthodontie, les dysmorphoses, la biomécanique,  les multi-attaches, la prévention et le collage en orthodontie).

Cours d'orthodontie à l'hôpital Saint Joseph

Le lendemain, il est temps de rejoindre les deux centres où nous allons travailler. Une partie de l’équipe (Édith, Béatrice et Mousse) se rend à Saint Kisito à Kingabwa, un centre en périphérie au nord de Kinshasa. C’est le centre dans lequel les précédentes campagnes ont eu lieu. Le centre est déjà équipé avec quelques fauteuils ramenés de Belgique, des carts, des lampes…

Salle d'attente bien remplie à Saint Kisito
Édith et Mousse en action à Saint Kisito

Le reste de l’équipe travaillera du côté de Sainte Rita, à la Cité Verte, au Sud. C’est la première fois qu'une campagne de soins est organisée à cet endroit et nous disposons de moins de facilités, moins de fauteuils fonctionnels, pas de carts. Tout reste encore à bien organiser. Ici, les extractions se font même sur des chaises de jardin en plastique ! Il n’y a pas toujours d’eau ni d’ électricité et tout le monde travaille avec une lampe frontale.

Les dentistes sont obligés de travailler sur des chaises de jardin faute de fauteuil
Ce mardi, c’est la cérémonie d’ouverture officielle, ici on aime bien tout officialiser. La presse écrite, la radio et la télévision sont présentes pour couvrir l’ouverture à Saint Kisito où Jean Bosco m’a demandé de participer pour faire de la représentation. Le but est de parler de la campagne de soins dentaires pour que les locaux soient au courant et viennent se présenter pour se faire soigner. Comme cela fait plusieurs années que la campagne à lieu à Kingabwa, les congolais du coin sont au courant et remplissent très rapidement la salle d’attente. A Sainte Rita nous avons au fil des jours de plus en plus de monde  car la télévision et le bouche-à-oreille a bien fait son travail. Chaque jour amène de nombreux nouveaux patients. Sur place, l’équipe belge est aidée par toute une série de dentistes congolais. Sans eux, la mission serait impossible.

Cérémonie d'ouverture de Saint Kisito à Kingabwa

Salle d'attente bien remplie à Sainte Rita. Certains patients doivent patienter une journée entière pour être soignés...

Notre travail à Sainte Rita est très variable. D’abord, nous devons préparer les médicaments en petits sachets, un travail minutieux et abrutissant. Les patients qui arrivent sont tellement mal en point qu’ils doivent d’abord prendre des antibiotiques avant que nous ne puissions les traiter. Sur place, mon rôle de logistique se confirme et j’essaye de réorganiser nos caisses de produits le mieux possible pour que les dentistes puissent tout trouver le plus facilement possible: anesthésiques, aiguilles, rouleaux de coton, compresses, composites, fraises, gants, masques…  Nous devons découper les brosses à dents en vrac achetées sur place (plus de 1800) entre autres grâce aux dons que nous avons récoltés en Belgique. Cela nous prend pas mal de temps.


Préparation des brosses-à-dents
Préparation des médicaments


Rangement logistique

Brigitte et Thérèse s’occupent des quelques cas orthos à consulter, font quelques extractions, mais très vite on se rend compte que notre valeur ajoutée se trouve ailleurs: dans la prévention. En effet, la plupart des congolais ne se brosse pas les dents et certains n’ont jamais vu de brosse à dents. Nous développons un dépliant assez basique qui explique quand et comment se brosser les dents. Au total, 800 seront imprimés. Ce sera une grande aventure que d’arriver à les faire imprimer, vu les moyens précaires autour de Sainte Rita. Toutefois, nous réussirons avec beaucoup de fous rires.



Thérèse extrait une dent
Brigitte traite une petite patiente
Notre dépliant explicatif


L'aventure de l'impression des dépliants
Chaque jour, notre rôle en prévention se précise. Nous affinons notre mode de fonctionnement au cours des jours, en nous adaptant à nos interlocuteurs. Tôt le matin, quand les patients arrivent, nous donnons des explications en face-à-face et au fil de la journée, quand la salle est remplie de plus de 60 personnes, nous donnons les conseils de brossage par petits groupes. A chaque fois, nous leur offrons une brosse-à-dents et un petit tube de dentifrice. C’est un grand succès, les congolais sont super intéressés et nous posent toute une série de questions : doit-on se brosser les dents juste le temps du traitement, deux semaines?  Doit-on avaler le dentifrice ? Le brossage des dents va-t-il faire sortir la petite bête qu’il y a dans ma dent ? Peut-on mettre du miel sur la dent quand elle fait mal? Une série de remarques et de questions qui nous font sourire mais qui témoignent du manque ahurissant d’information.
Prévention
Prévention
Prévention


Ici les croyances sont très fortes, les sorciers disent que la carie est une malédiction, qu’il s’agit d’un petit animal qui s’est installé dans la dent . Les marabouts, comme on les nomme, prescrivent des plantes à placer dans la cavité. Au lieu de la guérir, cela aggrave la carie. Le patient sera soulagé au moment-même mais la situation ne fera que s’aggraver. Si bien qu’ici, on rencontre des cas que l’on ne connait en Belgique que par les livres universitaires. Des phlegmons, des cellulites, des jeunes de 30 ans qui n’ont plus aucune dent ! Chaque jour, nous avons le cœur serré de voir ces patients qui souffrent vraiment des dents. Ils ont des infections carabinées, du pus qui sort de leur bouche, parfois même de leur peau ou de leurs yeux, tellement la carie est avancée. Ici, les gens meurent de la carie dentaire ! Il n’y a pas de labo dentaire à proprement parler et les édentés sont nombreux.



















 

La première pathologie rencontrée est la carie dentaire. Nous rencontrons beaucoup de chicots, des problèmes parodontaux importants (aux gencives), des édentations importantes et quelques cas ortho (DDM). Nous produisons des analyses statistiques précises au sujet des patients soignés mais les chiffres ne nous seront envoyés que des semaines après.


Je retiens tout particulièrement la petite Elisa, une patiente de six ans, qui en paraissait trois, atteinte d’un lymphome. Le cancer avait déjà atteint l’os du nez. La pauvre ne savait presque plus respirer. Ses parents sont très pauvres et viennent d’un village hors de Kinshasa. Ils avaient déjà dû économiser pour arriver jusqu’au centre en bus. La petite est restée au centre une journée où on lui a déjà administré des médicaments. De notre côté, on cherchait déjà tous les moyens pour la sauver. Il fallait trouver l’argent pour la chimio, ensuite il nous faudrait du comblement osseux… tant de choses si difficiles à trouver ici. Après avoir expliqué aux parents qu’elle devait se rendre à l’hôpital, ceux-ci ont pris peur et sont retournés au village car ils n’avaient pas d’argent. Nous avions pourtant trouvé un arrangement avec l’hôpital universitaire qui allait la prendre en charge gratuitement. Nous avons essayé de les joindre par téléphone mais en vain… Quelques jours plus tard nous apprenons le cœur lourd qu’elle était décédée au village. Les parents avaient écouté le sorcier, qui leur avait dit que c’était une malédiction, et qu'elle ne devait pas aller à l’hôpital.

Elisa, 6 ans

Cet épisode nous a encouragé à donner encore plus d'explications et à faire de la prévention pour que cela n’arrive plus. Au total, nous avons soigné 1300 patients sur les deux sites, et avons donné des conseils de prévention à plus ou moins 800 ou 900 personnes.

Les patients sont super intéressés et posent beaucoup de questions


Chaque jour nous répétons les mêmes phrases mais toujours avec le même enthousiasme


Chaque patient nous réclame le dépliant aussi bien que la brosse et le dentifrice



Certains patients nous ont vraiment touchés par leur courage, leur gratitude, leur sourire et aussi parfois leur ingéniosité. Par exemple, un homme a eu un accident il y a plus d'un an et a perdu les 4 incisives supérieures. Comme il n'y a pas de laboratoire ici, et qu'il était hors de question qu'il se ballade sans dent, il a fabriqué une prothèse lui même avec le plastique d'une chaise de jardin blanche et un fil de fer. Le résultat est plus que surprenant!





Nous avons également réussi à obtenir deux passages radio. Un passage de 10 minutes en début de semaine, où Jean-Bosco a parlé des deux campagnes de soins dentaires gratuits pour prévenir la population et ensuite une émission de 30 minutes sur la Radio Okapi sur « Comment prévenir les maladies bucco-dentaires ». Thérèse et moi-même avons répondu aux nombreuses questions des auditeurs : Peut-on se brosser les dents avec des cendres ou du charbon ? La carie dentaire est-elle héréditaire ? Que faire en cas de saignements de gencive ?...  Les questions fusent du pays tout entier, on nous écoute jusqu’à Goma. Les appels sont nombreux. Étant musicienne et ne partant jamais sans mon ukulélé, j'ai écrit, avec mes compatriotes, une chanson de sensibilisation en lingala et en swahili qui est également passée lors de cette émission radio. Le message était simple : « Souris, Souris encore mais pour un beau sourire, brosse toi les dents ! »

Radio Okapi

Lien vers l'émission de prévention bucco-dentaire
http://radiookapi.net/regions/national/2014/07/24/comment-prevenir-les-maladies-bucco-dentaires/

Ces deux semaines nous ont permis de voir tout ce qu’il y avait encore à faire. Nous avons de nouvelles idées d’organisation, de récolte de fonds, de produits, de prévention. Pour les prochaines campagnes, nous essaierons d’aller dans les écoles, orphelinats… et pousser la prévention encore plus loin. Nous connaissons maintenant mieux nos faiblesses et pourrons donc améliorer les prochaines campagnes de soins dentaires gratuits.
Je ressors positive de cette expérience mais tout de même assez marquée par tout ce que j’ai vu là-bas: la pauvreté, la saleté, le manque de moyens, la malhonnêteté de certains de nos « partenaires » mais aussi et surtout les mercis, les sourires et les fous rires que les congolais nous ont offert...


L'équipe de Sainte Rita









David, Thérèse, Brigitte, Belinda et moi-même à la fête de l'Ambassade de Belgique pour le 21 juillet


 
Le coin basique de prothèse